LA LÉGENDE de la VILLE d’Ys – II – LA PROPHÉTIE

Il y a fête ce soir au palais de marbre et d’or du roi Gradlon de Cornouailles.

C’est l’anniversaire de sa fille bien-aimée, celle qu’il eût avec une fée des eaux dont il s’était épris, et qui mourut en couches. Je ne savais pas qu’une fée pu mourir, et de le savoir, le ciel s’est obscurci.

 

Vers minuit, un jeune seigneur aux yeux étincelants, tout de rouge vêtu, droit et fier sur un cheval noir, se présente aux portes du palais. On l’accueille. Il jette un regard, un seul, sur Dahud. Elle est à lui. Ils quittent la fête, et c’est une folle nuit de passion, de cris, de serments éternels. Mais elle est seule à y croire. -Que ferais-tu pour moi ? Tout ce que tu demanderas. -Alors, va. Enlève du cou du roi, ton père, la petite clé d’or qui ouvre l’écluse, et donne la-moi.

 

Dahud s’en va, pieds nus, dans le palais endormi. Le jour n’est pas encore levé. Sans bruit, elle entrouvre la porte de la chambre du roi, s’approche du lit, écarte doucement une somptueuse fourrure. Tout doucement elle soulève la clé. Le roi soupire. Tremblante, elle attend, immobile. Enfin, elle détache la clé, et repart comme elle était venue, ombre dans l’ombre. D’un geste de triomphe, elle la tend à son amant. Il lui arrache sans un regard, et s’éloigne en courant avec un éclat de rire démoniaque. La douleur et la honte la clouent sur place.

 

La clé donnée en gage d’amour, va ouvrir pour Ys l’éternité.

 

Soudain, les flots envahissent la ville endormie. Les vagues renversent tout, recouvrent tout sur leur passage. Dépeindre la terreur… Le désespoir… Les cris. Ces gens qui hurlent, et puis se taisent…

Comment le pourrais-je ?

Réveillé en sursaut, Gradlon ne pense qu’à sa fille. Il saute sur son cheval, Morvach, saisit Dahud par la taille, et la jette derrière lui. L’évêque Saint-Gwénolé le suit. On n’entend plus que le bruit des vagues qui se recouvrent et se brisent sans fin. Et la mer monte… Monte… Monte…

 

L’évêque ordonne :

-« Rejette le démon qui est derrière toi ». Gradlon n’écoute pas. Alors, l’évêque n’hésite plus. D’un coup de crosse, il frappe Dahud. Elle disparaît dans les flots. Et le calme renaît. La mer ne monte plus.

 

Elle a rejoint les fées des eaux, ses sœurs. Elle ne s’appelle plus Dahud mais Ahès.

 

Parfois, le soir, au coucher du soleil, elle monte à la surface de la mer. Elle rêve, en lissant de ses longs doigts ses cheveux d’or ; et elle chante… Vous savez… Ces chants venus d’ailleurs, mystérieux, envoûtants… Qui vous bouleverse le cœur.

 

On n’entend plus jamais parler des marins qui les ont écoutés.

 

Ys a disparu.

Pour toujours.

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